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Sendo, la voie des mots

Le 1 décembre 2025

Sendo, la voie des mots

Sur les réseaux sociaux, ce poète engagé, slameur et performeur se fait connaître sous le nom deL’arbre qui pousse. Peut-être parce que, « comme un arbre dans la ville* », Sendo a lui aussi « grandi dans le béton », en Seine-Saint-Denis. Mais ses racines n’ont pas oublié la terre, et ses textes font vivre une écologie véritablement populaire. Faisant rimer poétique et politique.

Propos recueillis par Gaïa Mugler-Thouvenin.

Sur les réseaux sociaux, ce poète engagé, slameur et performeur se fait connaître sous le nom de L’arbre qui pousse. Peut-être parce que, « comme un arbre dans la ville* », Sendo a lui aussi « grandi dans le béton », en Seine-Saint-Denis. Mais ses racines n’ont pas oublié la terre, et ses textes font vivre une écologie véritablement populaire. Faisant rimer poétique et politique.

“Pour aller tous ensemble vers la transition, il faut de la force, et l'amour en donne.”

BIO EXPRESS

  • 1997 Naissance à Villepinte (Seine-Saint-Denis). Sendo R. Elota grandit entouré de sa mère, son frère et ses deux sœurs aînés. Il fait une prépa littéraire, une école en entrepreneuriat social et commerce, et deux ans de conservatoire avant de se concentrer sur le piano, comme sa sœur – décédée d’un cancer –, et sur le chant choral.  
  • 2012 Il est marqué par l’association créée par sa sœur pour former les jeunes à l’agriculture biologique au Congo-Brazzaville. 
  • 2014-2017 Il se forme au hip-hop, qu’il danse depuis ses 10 ans, jusqu’à participer au Hip-hop story à la Philharmonie de Paris. 
  • 2015 Entrée dans la troupe d’impro théâtrale Les Konkisadors. 
  • 2016 Expédition au Pérou avec des chercheurs. 
  • 2025 Cofondation de Re-Room, un vestiaire de scène solidaire (@re.r00m sur Instagram) et création de « Bœuf sans viande », des jams de poésie populaire organisées deux fois par mois. 
  • Août 2025 Sortie de son titre Rat des champs.
© Leïla Cab.

Comment s'est fait votre rencontre avec l'écologie ?

Mon grand-père était pêcheur. Mon père, agriculteur bio au Congo-Brazzaville. Ma sœur a créé une école d’agriculture bio au Congo. Ma mère nous a sensibilisés aux questions de santé et de bien manger. C’est d’elle que je tiens que quand tu manges ce qui vient directement de la terre en évitant la nourriture industrielle, ça construit une bonne santé. C’est de cet héritage qu’est née ma conscience écolo, qui est une écologie des Sud, ou de la marge.

De la marge, c'est-à-dire ?

Une écologie qui se pense depuis les marges, qui admet la pluralité des chemins. L’écologie « dominante » parle avec des codes parfois accusateurs, excluants, dans lesquels tout le monde ne peut pas se reconnaître. Dans un événement écolo, en tant que banlieusard noir de classe moyenne qui écoute du rap, je vais entendre des mots qui ne vont pas me toucher, des exemples éloignés de mon quotidien. Dans les classes populaires, on vit une économie de la fonctionnalité. On récupère des vêtements ou des Tupperware. Ces petites expériences, qui relèvent de l’écologie, ne sont pas perçues comme telles par les personnes concernées parce que l’on ne parle pas avec leurs mots, dans leurs codes.

L'écologie est une chasse gardée ?

Il y a actuellement une sorte de gatekeeping, un entre-soi involontaire mais réel. On ne s’adresse pas à toutes les personnes qui peuvent participer à la transition. Par exemple, aux CSP+ noirs ou encore aux artistes du hip-hop ou du rap. Alors que l’influence de ces cultures est majeure !

Comment abordez-vous la question pour sensibiliser ?

Dans tous mes projets, je construis du désirable en utilisant l’art et la culture pop. J’ai mis en place les soirées « afro-végé » qui relèvent de la transition ou les performances « Bœuf sans viande », des jams de poésie qui permettent de rendre moins ridicule auprès des gens qui me ressemblent le végétarisme. La moitié de mon public n’est pas végétarien ni même écolo. Leur participation à ces événements crée un effet boule de neige. Le capitalisme comme le modèle agricole dominant sont des fictions collectives imposées de force. On n’arrive plus à penser que d’autres existent. Il faut donc aussi décoloniser nos esprits.

Qu'entendez-vous par là ?

Quand nous, enfants français de familles congolaises, on se rend au Congo, on se dit : « Il faut construire une route » ou « Ces légumes tachés sont moches », alors qu’il n’y a pas de problème avec ces légumes et que la route n’est pas nécessaire. L’écologie décoloniale remet en question les habitudes de pensée qui érigent l’Occident en modèle de tout.

Quel est le lien entre colonialisme et écologie ?

Il y a encore aujourd’hui ces manières de penser le monde qui reposent sur une hiérarchisation de tout. À une époque, on estimait qu’une personne noire était un bien meuble inférieur à l’animal. On considère qu’un cochon a moins de valeur qu’un chien. Décoloniser sa pensée amène à reconsidérer les questions de hiérarchisation du vivant. Et la poésie a un rôle à jouer là-dedans.

La poésie n'est-elle pas un luxe ?

En période de crise, on en a plus besoin que jamais. Je pense à celle de Langston Hughes, qui a écrit sur la révolte et l’espoir, avec des chants d’esclaves, pendant la ségrégation. La poésie relève des mouvements « slow », elle appelle à se poser, à être dans la réflexion. On en a besoin pour rendre le changement désirable.

© Louis Goetz.

L'écologie est-elle un thème récurrent des jams de poésie ?

Oui. L’idée était d’amener des thématiques plus larges et que l’on sente notamment l’ancrage végétarien de façon progressive. Je pose des thèmes récurrents – public therapy, afropoetry, figures de style –, et les poètes réagissent. Nous avons eu des éditions sur « Rêves et révoltes », « Le goût des racines », « Afropoetry et écologie décoloniale ». Les participants, qui n’avaient pas forcément l’écologie dans le viseur, se retrouvent à en parler, à échanger.

Que vous apportent ces expériences collectives ?

Même si, dans la lutte écolo, on a besoin de « stars » et d’incarnations individuelles, je pense qu’il faut également montrer que le collectif fonctionne. Nos jams permettent aussi de « débunker » [démystifier, NDLR] des clichés et préjugés sexistes, racistes, classistes : « un noir ne lit pas », « l’écologie, c’est pas pour les noirs ». Elles permettent de reconquérir une confiance en soi pour pas mal de gens, intimidés parce que, dans leur quotidien, c’était toujours d’autres qui ne leur ressemblent pas qui prenaient la parole. J’ai observé que les personnes racisées qui écrivent ne disent jamais qu’elles écrivent. De même, les femmes ont beaucoup moins confiance en elles sur scène que les hommes, sans que ça ne s’explique par une différence de compétences.

Dans la chanson Rat des champs, vous dites mieux connaître le « Pokédex », ce catalogue de créatures imaginaires issues d'un jeu vidéo, que les vraies espèces animales...

L’idée de ce titre est de rejeter l’injonction de perfection dans l’écologie tout en assumant une volonté de transition. L’écologie lisse et parfaite est un mensonge ! La réalité, triste et étonnante, est là, je connais mieux les Pokémon que les animaux. Et elle m’interroge : comment en est-on venu à se dire que c’est normal ? Cette question fait partie de ces choses qui poussent à décoloniser nos esprits.

Et l'alimentation, quel rapport entretenez-vous avec elle ?

Peut-être parce qu’en cuisine comme en écrits, on tisse des liens importants, la question de la nourriture revient toujours dans mes projets. Bien manger est si important que ça ressurgit partout. Comme dans mon projet collectif, « Sauce ». La sauce, c’est ce qui prend quand plusieurs éléments différents sont mélangés. En l’occurrence, c’est un groupe d’artistes qui se réunissent, et travaillent en cuisinant et mangeant ensemble. La nourriture a un tel impact, y compris sur les émotions ! Il y a beaucoup d’amour dans la nourriture, d’où le fait que j’associe souvent les mots et la question de l’alimentation. Elle est un des bons angles pour parler écologie à tout le monde.

Vos textes sont empreints de douceur et d'amour. N'est-ce pas dérisoire et inadapté face aux défis actuels ?

Il est toujours temps de parler de douceur et d’amour. Et l’amour, c’est si large ! La révolte pour la justice, ça part de l’amour. Pour aller tous ensemble vers la transition, il faut de la force, et l’amour en donne. Pour affronter les défis contemporains et aller de l’avant, il faut reconnaître les erreurs présentes et passées, et ça ne peut se faire qu’avec amour.

Faut-il vous dire poète ou slammeur ?

Je me dis poète mais plus largement, j’écris et je performe. Le slam est une branche de la poésie qui a beaucoup apporté à la poésie orale, ainsi que le rap. Mais la poésie est partout, elle n’est pas si codifiée et prend de nombreuses formes, que j’aime combiner.

Comment êtes-vous tombé dans la musique ?

J’ai grandi avec le rap qu’écoutait mon frère, et mes sœurs jouaient du piano, du violon, de la guitare, de l’harmonica… Ma mère écoutait une musique éclectique qui allait de Michael Jackson à la musique congolaise en passant par Aznavour. Ma culture musicale s’est formée sur ce terreau et a grandi avec le conservatoire, l’étude du piano et de la chorale. Je n’aimais pas tout du rap mais j’y ai pris goût, et j’écoutais aussi beaucoup de musique classique, de jazz… Toutes ces influences m’ont vite fait comprendre que je n’aimais pas les frontières. Elles n’ont jamais rien défendu de beau.

© Loni.

Si vous étiez...

... Un autre artiste

Christiane Taubira. Son écriture est poétique, jusque dans ses essais, comme L'Esclavage raconté à ma fille.

... Un arbre

Le ficus japonais que l'on met devant les temples.

... Un ingrédient

Un plat mijoté que fait ma mère, à base d'herbes et de beurre de cacahuètes, mon ingrédient préféré.

... Deux mots qui riment

Poétique et politique.

... Un grain de sable sur un rivage

Un grain de sable près de la Porte du non-retour, une plage d'où ont été déportés des esclaves au Bénin et où un monument reste visible.

Quelle était l’intention derrière les « Bœufs sans viande » ? 

La poésie, ça me guérit. Je me suis dit que cela pourrait aussi faire du bien à d’autres personnes. Je pense qu’on a besoin, collectivement, de thérapie, de non-jugement, d’amour, sans discrimination. L’idée de ces jams, c’est de se retrouver dans nos diversités, d’échanger et d’écouter l’autre. On a tous ce droit à la parole, à l’écoute… et à la poésie, je crois.

Quels autres projets portez-vous pour apporter du changement ?

J’essaie d’incarner publiquement un certain nombre de valeurs à mon échelle, parce que ça aura de l’impact dans mon cercle, mon milieu. Je pense aussi aux vêtements. Quand j’ai vu la pollution que représente l’industrie textile, notamment sur les plages du Ghana, j’ai voulu agir. La mode et le style, c’est aussi de l’art, ça peut apporter autant de beau que de mal. Il fallait rendre désirable un style plus slow, et c’est ce qui préside à mes décisions vestimentaires. Dans tout ce que je fais, je tente de réconcilier le beau et l’engagé. C’est aussi ainsi qu’est né Re-Room. Là encore, il s’agissait de jouer sur les représentations. Plutôt que d’accuser les stars de vanité, on peut montrer qu’elles peuvent avoir du style et du fun en étant écolo. Re-Room prête des pièces de marques qui produisent dans une démarche artisanale, non industrielle, écolo et très créative. Et quand ce genre de vêtements est porté par des personnalités, ça impacte leur public.

Le temps des alternatives n’est-il pourtant pas passé ?

Non, il faut les deux. Il faut casser ce qui ne va pas dans le système actuel. Déboulonner, c’est aussi être dans l’idéal, le rêve et l’espoir ! Il faut continuer de montrer les alternatives tout en déconstruisant le vieux modèle. 

Biocoop a défini comme objectif de sa stratégie à l’horizon 2029 « rendre la bio exigeante accessible et désirable ». Ça vous inspire quoi ? 

Du positif ! Il faut construire une écologie populaire, bien sûr. Mais il faut se rappeler que la question de qui parle est cruciale. Il faut parler aux gens de leur réalité. Par exemple, demander aux gens les plats auxquels ils ont un attachement fort en lien avec leurs origines – des Ardennes ou de l’autre bout de la planète – et leur démontrer que ces recettes sont réalisables avec des produits Biocoop sans surcoût. 

Comment faire pour que l’idée de la transition réunisse tout le monde ?

Quand on veut faire une transition, il faut aller d’un point A à un point B. Ça suppose de comprendre d’où partent les gens, où est leur point A. Il faut donc refaire du lien avec leurs pratiques – même si les petits gestes ne sont qu’une petite part du problème, ça a un impact symbolique qui permet d’avancer –, des pratiques qui sont souvent déjà écologiques chez des populations pourtant écartées de cette discussion. Et ça passe aussi par de la représentation : ce discours n’a pas le même poids selon qu’il est porté par une personne blanche ou par une personne issue d’une famille d’immigrés congolais comme moi, par exemple. Il faut élargir le panel des personnes invitées à la discussion écologique.

Vous êtes-vous engagé pour ou contre des projets ou des causes spécifiques dernièrement ?

J’ai écrit sur la lutte contre EACOP (projet de Total Energies du plus grand oléoduc chauffé au monde, qui met en danger humains et animaux) et contre Bayer-Monsanto. J’agis aussi via des actions directes avec XR ou Youth for Climate, ou en manif, ou pour la Palestine. Je me sens aligné quand j’écris sur ces sujets. Écrire, je crois que c’est une manière de se mobiliser. Je veux lier poétique et politiques pour des causes essentielles.

Quels mots privilégiez-vous ou évitez-vous pour parler d’écologie ?

Je m’adapte à mon public. Je suis noir et je suis Français, je suis plusieurs choses en même temps. Je ne suis pas deux moitiés : je suis totalement les deux choses, et ça me donne la capacité de me transformer sans jamais être autre que moi-même. Si je m’adresse à un public populaire, je vais éviter les phrases à rallonge et plutôt employer un style simple et direct. Je ne parlerai pas d’« économie de la fonctionnalité », je l’expliquerai par l’image. Les mots qu’on utilise définissent les personnes à qui on souhaite s’adresser. Et moi, je veux m’adresser aux personnes de classes populaires et aux personnes qui veulent décoloniser leur langage. Ça n’oblige pas à toujours rejeter les mots pertinents et complexes, mais à s’interroger sur leur nécessité. Je trouve par exemple qu’Aimé Césaire a une écriture très complexe. Je pense que l’objectif était de dire « nous aussi pouvons employer un langage académique ». 

Moi, j’ai fait une prépa littéraire, si je n’utilise pas de mots savants, ce n’est pas parce que je ne sais pas le faire. J’ai désappris à le faire, parce que s’il y a des gens qui ne m’écoutent pas, je ne veux pas que ce soit parce qu’ils ne me comprennent pas.

*Référence à la chanson de Maxime Le Forestier.

 

Propos recueillis par Gaïa Mugler-Thouvenin.

 

Article extrait du n°138 de CULTURE BIO, le mag de Biocoop, distribué gratuitement dans les magasins du réseau, dans la limite des stocks disponibles.