Nouveau monde, nouveaux imaginaires
Le 09/03/2021
Le réchauffement climatique est palpable, la biodiversité est menacée partout dans le monde et l’écologie apparaît de plus en plus comme la seule alternative possible.
par Arnaud Pagès
Entreprises, consommateurs et institutions ne jurent plus que par elle. Cependant, le chemin semble encore long pour basculer vers une société en accord avec la nature. De quels moyens disposons-nous pour changer nos regards ? La force de la loi et des marchés ? Ou plutôt l’édification collective de nouveaux récits à inventer ?
Il est plus que jamais urgent de réviser notre rapport à la nature. Bien que le message écologique soit de mieux en mieux compris et accepté dans toutes les strates de la société, la promesse ne fait pas rêver tout le monde. Elle a même, pour le plus grand nombre, tout pour être décourageante tant le défi est immense.
Remplacer la voiture thermique par les transports en commun ou la mobilité douce, manger moins de viande, rayer le plastique de nos vies, acheter moins, voire plus du tout, de produits neufs, limiter notre consommation d’eau et d’électricité, opter pour l’économie circulaire, tendre vers la neutralité carbone, développer l’agriculture biologique, se passer des pesticides chimiques…, il est devenu primordial de rééquilibrer la balance avec la nature, le vivant, dont nous restons, en tant qu’espèce biologique, entièrement dépendants. Dès lors, comment convaincre les plus réticents ou ceux qui sont découragés d’avance ?
REGARDER LA RÉALITÉ EN FACE
Souvent taxés de rétrogrades par le passé, les écologistes sont, depuis toujours, à la manœuvre pour faire bouger les lignes en prônant un modèle de société repensé pour garantir un futur vivable. Depuis peu, le message semble avoir été reçu 5 sur 5 par les entreprises. La RSE (Responsabilité sociétale et environnementale) est devenue leur nouveau mantra. Plus une seule organisation qui ne vante les efforts réalisés pour réduire son empreinte carbone… Chez certaines, les efforts sont sincères. D’autres, pour maintenir la croissance, ont recours au greenwashing, à l’image des grandes banques qui commercialisent des produits à compensation carbone alors qu’elles ont investi 2 660 milliards de dollars dans les énergies fossiles depuis l’Accord de Paris en 2015, selon le rapport Banking on Climate Change de 2019.
Or, un monde aux ressources finies ne peut pas supporter une croissance infinie, encore moins quand celle-ci menace le vivant. Et le temps presse pour agir. Selon les projections scientifiques, avec 4 °C en plus, et même moins, la Terre pourrait devenir inhabitable. Vagues de chaleur mortelles, incendies de forêt, sécheresses, pénuries en eau potable, ouragans, famines, crises sanitaires seraient alors la règle.
Il faut donc passer à autre chose. Comme le dit le docteur en biologie et collapsologue Pablo Servigne, dans Comment tout peut s’effondrer ? (Éd. Seuil), « l’utopie a changé de camp : est aujourd’hui utopiste celui qui croit que tout peut continuer comme avant ».
ÉCRIRE ENSEMBLE UN AUTRE FUTUR
À ce titre, le récit pourrait être essentiel pour activer le changement. Dans son best-seller planétaire Sapiens (Éd. Albin Michel), l’historien Yuval Noah Harari explique que la fiction a permis aux êtres humains « d’imaginer des choses mais aussi de les faire collectivement » et de « coopérer de manière extrêmement flexible avec d’innombrables inconnus » tout au long de l’Histoire.
En réalité, avec la fiction, nous avons assis notre pouvoir sur le monde en mettant à la disposition de l’humanité un socle commun de croyances auquel chaque individu pouvait se référer pour interagir avec les autres. Le capitalisme fonctionne d’ailleurs ainsi. Raconter des histoires et susciter le désir est nécessaire pour influencer les comportements et vendre des produits…
De la même manière, la fiction est un puissant levier de transformation écologique car elle peut susciter l’envie de changement sans recourir à un discours moralisateur, culpabilisant ou dystopique…
Ces nouveaux récits existent. Avec le média CQFD (Ce qu’il faut développer), l’Institut des Futurs souhaitables, un think tank qui a fait de la « propagande positive » son cheval de bataille, imagine le monde de demain à travers un panel de thématiques : alimentation, démocratie, environnement, éducation…
Chercheurs, penseurs et artistes s’impliquent de plus en plus sur le sujet. L’architecte belge Luc Schuitten imagine des villes entièrement végétalisées, construites en parfaite symbiose avec la nature, tandis que l’écrivain de science-fiction Alain Damasio prophétise l’apparition des « Zouaves » (Zones où apprendre à vivre ensemble) dans son roman Les Furtifs (Éd. La Volte).
ENCHANTER L’ÉCOLOGIE
Ces projections ne relèvent pas de l’utopie. Les récits qui donnent à voir un futur désirable peuvent d’ores et déjà s’appuyer sur des solutions qui sont testées un peu partout dans le monde et qui fonctionnent. La circularité, le renouvelable, le biomimétisme* sont des gages de sobriété. Ils dessinent d’ores et déjà les contours d’un autre rapport à la nature, en symbiose avec celle-ci.
Think tanks, groupes de réflexion, cercles de travail, collectifs vertueux, initiatives solidaires, agricoles fleurissent pour faire émerger un nouveau modèle de société plus responsable et plus humain.
Pour accélérer, il appartient désormais à chacun et à chacune de sensibiliser (dans la joie et la bonne humeur, mais oui c’est possible) aux défis qui nous attendent. Car « la possibilité d’un effondrement ferme des avenirs qui nous sont chers mais il en ouvre une infinité d’autres, écrit dans son Petit manuel de résistance contemporaine le militant écologiste et écrivain Cyril Dion. Tout l’enjeu est donc d’apprivoiser ces nouveaux avenirs et de les rendre vivables ».
* Ingénierie inspirée du vivant et innovations développées par la nature au cours de 3,8 milliards d’années d’évolution